Dans la continuité de notre Appel du 1er Avril, et suite à une première lettre d'info 'confinée' sur l'alimentation et l'agriculture, vous trouverez ici une lettre d'info spéciale portant sur les enjeux existants dans les domaines de l’eau et des milieux aquatiques en lien avec le COVID 19 et le confinement. Quels risques pour les milieux aquatiques, la qualité de l’eau et notre santé font courir à la fois la propagation du COVID 19 et les mesures de crise mises en œuvre ? Nous apportons ici quelques éléments de réponse. 1 - Coronavirus : l’eau est-elle toujours potable ? Face à l’épidémie de coronavirus qui sévit en France, de nombreux gestionnaires de l’approvisionnement en eau potable ont répondu à l’appel des Agences régionales de santé leur demandant d’élever le taux de chlore, de 0,3 mg/l à 0,5 mg/l en sortie de station de traitement. L’utilité du chlore est de supprimer les virus et les bactéries , cela fait partie de la procédure habituelle de potabilisation de l’eau dans les usines de traitement. D’autres traitements de désinfection fonctionnent très bien sur le Covid-19, que ce soit l’ozone, les ultraviolets ou le dioxyde de chlore. L’objectif serait donc de maintenir une désinfection efficace dans le réseau de distribution, alors que l’eau va rester plus longtemps dans certaines canalisations du fait de la baisse de consommation d’eau liée à la baisse de l’activité économique. Ainsi la dose de chlore a été augmentée pour le traitement de l'eau potable à Toulouse ou encore Verfeil. La consommation de l’eau du robinet ne présente donc aucun risque , l’augmentation du taux de chlore ne détériorant en rien sa potabilité. A ceux que ce goût dérange, nous conseillons de mettre l’eau dans une carafe une heure au frigo, sinon d’y plonger une rondelle de citron ; le chlore va s’échapper et le goût sera redevenu totalement normal. 2 - Qu'en est-il de l'assainissement des eaux usées ? - On ne sait pas exactement comment se comporte ce virus dans l’eau. La grande inconnue demeure sa durée de vie suivant les milieux et matières en contact, par exemple plastiques, carton, métaux, lingettes retrouvées dans les stations d’épuration… et dans nos cours d’eau ! Il est donc difficile de définir sa durée de vie dans les eaux de surface, les eaux usées et particulièrement dans les rejets des hôpitaux. Il semble avéré, selon une étude menée aux Pays-Bas, que le virus se retrouve dans nos eaux usées, ce qui constitue un signal d'alarme fort1. Or toutes les stations d’épuration ne disposent pas forcément d’un traitement de désinfection des eaux usées épurées avant rejet, mais la dilution de ce rejet dans le milieu naturel devrait minimiser ce risque… En attendant, il est nécessaire de protéger les personnes qui interviennent dans les stations d’épuration ou dans les réseaux d’assainissement, et c’est là que le bât blesse, en raison du manque actuel de masques…
3 - Est-il nécessaire de désinfecter les villes avec des biocides ? Plusieurs villes françaises ,dont Toulouse et Montauban, imitant en cela la Chine et la Corée du Sud, entreprennent la désinfection de rues et de mobilier urbain (bancs, poteaux, arrêts de bus...) à doses importantes de « virucides », sans consultation des Agences Régionales de Santé (ARS), qui, pour certaines, déconseillent ces pulvérisations. Leur efficacité sanitaire reste à démontrer, mais la dangerosité de cette pratique sur la santé et l’environnement, notamment les milieux aquatiques, est certaine, comme nous l’avions rappelé (cf. article du 02/04/2020 dans Reporterre et communiqué de presse de FNE Midi-Pyrénées du 07/04/2020). En effet, les eaux urbaines et pluviales collectées sont très souvent rejetées dans les cours d’eau directement, sans aucun traitement, avec leurs lots de pollutions … Le gouvernement nous a donné raison le 9 avril en prenant acte de l’avis du Haut Conseil de la santé publique (HSCP), rappelant que l’usage massif de produits de désinfection en plein air pouvait conduire à des effets directs, ou indirects, sur la santé et l’environnement. Il ne reste aux municipalités que l’eau et le savon (recommandations des ARS et du Haut Conseil de la Santé Publique), à l’instar de ce qui est prôné à Cahors, Figeac et de nombreuses communes du Lot. 4- La qualité de l’eau et autres milieux naturels s’améliore-t-elle ? Y a-t-il moins de pollutions de l’eau avec le confinement ? - « Les contrôles des équipements industriels à risque, notamment dans les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE)2, devront se poursuivre » avait annoncé, le 27 mars, la ministre de la Transition écologique, et ce pour des motifs de sécurité, de salubrité publique et de protection de l'environnement. Cependant, des associations et des organisations professionnelles ont fait part, ces derniers jours, de difficultés à assurer des contrôles en raison de la moindre disponibilité des entreprises qui en ont la charge (organismes de prélèvement, laboratoires d’analyse) et du défaut d'approvisionnement de certains matériaux nécessaires aux prélèvements et analyses. Ceci est regrettable, les installations classées étant loin d’être toutes sécurisées, comme semble le montrer la rupture d’une digue d’un bassin de décantation, dans une usine sucrière de Tereos située dans le Nord, le 10 avril dernier, ou encore avec le déversement dans le canal de l’Escaut d’une eau noire et pestilentielle. Depuis, des centaines de poissons ont été retrouvés morts sans que le lien de cause à effet ait pu encore être prouvé…
- Après la polémique sur l’épandage de pesticides aux abords des cours d’eau, épandages qui vont se poursuivre sans aucun contrôle, puisque les agents de l’état sont limités dans leurs interventions de terrain, nous ne voyons pas comment la pollution des rivières pourrait diminuer pendant le confinement… En effet, depuis le 17 mars, ni pêcheurs, ni promeneurs au bord de l’eau, ni Police de l’eau, ni personne d’autre ne veille sur les rivières, pas même les riverains cantonnés chez eux ! La fédération de pêche d'Ile-et-Vilaine (Bretagne) a réagi suite aux constats de pollutions (lisier, hydrocarbures) faits depuis le début du confinement : « Certains profitent de la situation pour se débarrasser des matières polluantes qui les encombrent ». Autre exemple dans la région : dans les Hautes-Pyrénées l'alerte d'un habitant de Caharet a permis à l'OFB de constater un déversement illégal de 9 tonnes de déchets issus de la démolition d’un hôtel, sous une ravine surplombant la Lène. Cet affluent de l’Arros, dans le bassin versant de l’Adour, abrite des écrevisses à pattes blanches, une espèce de crustacés protégée. « Dans notre département, nous avons une augmentation significative des signalements de la part des citoyens, mais dans cette période de confinement, nous donnons la priorité aux atteintes à l’environnement les plus graves » explique Pierre Landaburu, chef de service à l’OFB pour les Hautes-Pyrénées. Il a demandé une autorisation spéciale à sa hiérarchie pour se rendre sur le terrain.
5 – Un retour de la biodiversité aquatique et marine est-il observé avec le confinement ? Les Italiens ayant été en situation de confinement 2 à 3 semaines avant nous, les effets positifs de l’arrêt du trafic fluvial et maritime , comme du tourisme de masse, ont pu être observés chez eux : des bancs de poissons ont été observés pour la première fois depuis des années dans les canaux de Venise redevenus clairs et des dauphins ont été vus dans un port de Sardaigne. Depuis, les animaux marins fréquentent à nouveau les eaux du parc national des Calanques (dauphins, puffins, fous de bassan, thons, hérons, rorquals...), constat dressé par les agents du parc et l’ULAM313 chargés de veiller au respect des consignes de confinement dans le parc. En faisant réapparaître au grand jour une biodiversité qui vivait cachée ou recluse dans des territoires de plus en plus réduits, cette crise sanitaire invite à nous poser la question de la place que nous laissons habituellement au monde sauvage très largement perturbé par nos activités, et à nous demander dès aujourd’hui dans quel monde nous voulons vivre demain. 6 – Qui va alors veiller sur les cours d’eau ? A nous, à vous de jouer : comme déjà entrepris par quelques riverains et associatifs sensibles à leur environnement, faites-nous remonter vos constats de dégradations des cours d’eau, ou d’initiatives prises pour leur préservation, via notre plate-forme de signalement sentinellesdelanature.fr ! A l’avance merci pour votre mobilisation. POUR PLUS D’INFORMATIONS : 1 Selon la revue Nature, des études indiquent que le virus est excrété via les selles dans les trois jours suivant l'infection, soit bien avant que les premiers symptômes apparaissent. 2 Il peut s'agir notamment d'un dépôt, un chantier, une exploitation agricole, une usine, un atelier, une station-service, une installation de stockage des déchets, une carrière, un site industriel Seveso, ou d’une éolienne de plus de 12 mètres. Guide Eau et ICPE : https://aida.ineris.fr/liste_documents/1/95918/0 3 Unité Littorale des Affaires Maritimes |