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Sivens, un dossier au carrefour des problématiques locales et nationales sur le partage de l’eau

Plus de 5 ans après l’annulation du projet de barrage à Sivens (dans le Tarn, impliquant également une partie du Tarn-et-Garonne) ce sont toujours les tensions et l’incertitude qui dominent l’actualité de ce dossier sensible, endeuillé par la mort du jeune militant Rémi Fraisse en 2014. Atteintes portées à la zone humide du Testet, occupation du site, carence de suivi de la remise en état, surestimation aujourd’hui attestée des besoins en eau… la défiance s’est profondément enracinée.

L’État et les collectivités, les acteurs socio-économiques et les associations écrivent aujourd’hui un Projet de Territoire de Gestion des Eaux (PTGE Bassin Versant du Tescou), lancé depuis 2017 sous la forme d’une Instance de Co-Construction (ICC) encadrée par le Ministère de l’Environnement. Cette démarche a pour objectif d’organiser une concertation entre les différentes parties prenantes et d’établir des fiches actions sur quatre thématiques : la gouvernance, les besoins en eau et les solutions, l’environnement (eau, sol, biodiversité) et le développement du territoire.

C’est en tous cas la théorie. Malheureusement aujourd’hui, et malgré les dernières déclarations de la Secrétaire d’État chargée de la Biodiversité auprès de la ministre de la Transition écologique, Mme Bérangère Abba, en visioconférence avec l’ICC le 29 mars 2021, les crispations sont à nouveau palpables et des solutions communes ne font toujours pas surface.

La charte du Tarn-et-Garonne (82), enfin une avancée concrète ?

C’est dans le Tarn-et-Garonne (82) qu’un pas en avant a peut-être été fait, avec la signature d’une charte le 26 mars 2021, concernant entre autres une partie de la Vallée du Tescou. Celle-ci, initiée par le Conseil départemental 82 et signée par 12 associations (dont France Nature Environnement 82, la Confédération paysanne 82 et la FDSEA 82), répond à un double enjeu, à la fois environnemental (en réduisant les prélèvements en période de rareté de la ressource) mais aussi agricole (en sécurisant notamment l’irrigation pour les petites exploitations qui maillent le territoire).

Il s’agit des prémisses d’une stratégie départementale concertée de création, désenvasement et extension de plans d’eau, mais aussi d’investissements en faveur de pratiques tournées vers l’agroécologie économe en eau. La charte envisage, si les autres solutions sont insuffisantes localement, la création de nouvelles retenues limitées à 40 000 m³, hors zones humides et hors cours d’eau, si elles répondent à un besoin de substitution à des prélèvements actuels en rivière en période d’étiage. Elle rend par là même le projet de grande retenue à Sivens caduc. L’objectif est de mettre en place d’un équilibre entre la préservation des milieux naturels et la satisfaction des usages, sans compromettre les zones humides du territoire. A noter que chaque projet devra être étudié et validé par un Comité de Pilotage composé de tous les signataires de la convention.

La signature de cette charte, qui engage les signataires locaux, met en lumière la possibilité d’aboutir à des solutions communes sur un tel sujet à controverses, et pourrait potentiellement inspirer le Tarn, et même au-delà, sur la gestion territoriale de l’eau.

Grande vigilance de France Nature Environnement

Cependant, si la concertation locale est au rendez-vous, préalable à toute actions dans le domaine (et dans bien d’autres), cette charte devrait, avant toute décision, s’appuyer sur un diagnostic partagé des ressources disponibles et des besoins sur un périmètre hydrologique pertinent, un volet obligatoire de recherche de sobriété pour réduire les prélèvements, l’identification de plusieurs programmes d’action possibles pour atteindre l’équilibre, une analyse coûts / bénéfices sur les aspects environnementaux et économiques au regard des différentes solutions alternative… Tous ces critères à respecter figurant dans l’instruction gouvernementale PTGE du 7 mai 2019, document de référence national, issu d’un consensus, qu’aucune convention locale ne peut occulter ou remplacer.

Et de fait le texte de cette charte “départementale“ ne remplit pas l’ensemble de ces prescriptions, aussi le mouvement France Nature Environnement sera très vigilant sur la mise en œuvre de de celle-ci. En effet, il ne s’agit pas de laisser la place à des créations de stockage hors substitution, ce qui serait par ailleurs contraire au SDAGE Adour-Garonne (Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux) puisque le territoire est une zone en déséquilibre quantitatif (plus de besoins que de ressource en eau disponible). Toujours dans l’optique du bon état des milieux aquatiques, nous serons vigilants à ce que les prélèvements hivernaux ne créent pas d’étiage anormal en plein hiver, et à ce que l’impact cumulé d’éventuels stockages soit suivi scientifiquement (évaporation en particulier). 

Il est important de souligner que les associations environnementales ne sont pas contre l’irrigation lorsqu’elle est vraiment créatrice de richesses et que d’autres solutions de sobriété des usages sont mises en œuvre en priorité : les éventuelles retenues doivent alors impérativement servir à la transition agroécologique, pour de petites exploitations vertueuses. Il ne serait pas imaginable de permettre le stockage d’eau, ressource rare, pour une agriculture très pauvre en emplois locaux et utilisatrice massive d’intrants chimiques qui continuent à polluer l’eau et à détruire les sols (pesticides, herbicides, nitrates…).

Avec toutes ces informations, le rôle du COPIL de la charte du 82 sera donc central, et chaque dossier devra être étudié au cas par cas et faire consensus parmi les signataires. Le cas échéant, FNE Midi-Pyrénées sera prête à faire respecter les engagements pris.

La question des financements publics

Enfin, nous pouvons nous interroger sur la portée d’un tel document en matière de financements. En effet, c’est une chose de valider collectivement un projet concernant une ressource partagée comme l’eau, c’en est une autre d’accepter la prise en charge financière des projets par la collectivité, d’autant plus lorsque les projets se font sur des terrains privés avec un bail emphytéotique de seulement 18 ans ! L’Agence de l’Eau Adour-Garonne n’est d’ailleurs pas signataire de la convention, bien que sa politique d’aides financières y soit mentionnée. Pour autant le Conseil d’Administration de cette Agence vient de voter à l’unanimité un co-financement pour la réalisation des actions de cette charte. Les associations siégeant à ce CA ont donc approuvé le financement, dans la mesure où cette action est portée localement, qu’elle est expérimentale, que l’aide est plafonné à 2 millions d’euros, et que des précisions ont été apportées sur la nature des projets qui émergeraient de cette initiative. Une évaluation approfondie de cette démarche devra être menée, y compris en ce qui concerne la relation aux bassins versant concernés.

En effet, au niveau du Comité de bassin Adour-Garonne, les représentants de FNE et d’autres associations de protection de la nature se sont pas favorables à toute forme de financement public au stockage d’eau et au matériel d’irrigation : face à des ressources financières contraintes, la priorité est avant tout de financer les actions visant vraiment à la sobriété, les solutions fondées sur la nature, la protection des captages d’eau potable, la reconquête des zones humides et la résilience de l’agriculture via l’agroécologique. En effet comment peut-on parler de création de richesse si la valeur ajoutée est artificiellement générée par l’externalisation du coût de l’eau supporté par de l’argent public ?

Pour de vraies démarches PTGE, et une sortie de crise au Tescou

La charte du Tarn-et-Garonne a eu le grand mérite de mettre autour de la table et de trouver un compromis entre les différentes parties prenantes du territoire à l’échelle locale. Reste maintenant à organiser sa prise en compte dans les démarches PTGE en cours sur le 82, y compris à Sivens, afin de garantir la cohérence territoriale en matière de gestion de l’eau. Car les enjeux de biodiversité et de répartition équitable de la ressource dépassent les simples frontières administratives des départements.

La poursuite du PTGE du Tescou pourrait s’accélérer dans les mois à venir. En effet, Mme Bérangère Abba a annoncé que l’Etat allait prendre en charge des études sur les zones humides du bassin, et que le scénario « agroécologique » élaboré par le Collectif Testet devait être étudié. En outre, un.e médiateur.ice devrait (enfin !) être nommé.e pour faciliter le dialogue lors des ICC . Il est aussi nécessaire et urgent de rendre public et accessible l’ensemble des documents (diagnostics, études, compte-rendus des réunions…) qui ont été élaborés durant ces presque 4 ans de concertation, conformément à la transparence posée par l’instruction du 7 mai 2019 (et la convention internationale d’Aarhus). Il en va de la confiance des acteurs !

Malheureusement, nous constatons que la visioconférence du 6 mai 2021 réunissant la Commission Technique Eau élargie de l’ICC n’a fait que recréer des inquiétudes et des conflits, que ce soit sur la question de l’étude sur les zones humides annoncée par Mme Abba, ou sur la présentation du scénario d’agroécologie préparée par le Collectif Testet. Après 3 ans de concertation, le diagnostic qui devrait être validé en amont des recherches de solution par la Préfecture (selon la démarche PTGE) n’existe toujours pas. Les débats restent extrêmement tendus, sans réel dialogue des acteurs, et la priorité aurait sans doute été de désigner au plus vite un ou une garant.e de l’équilibre des débats, avant de relancer le travail de fond.

Afin de retrouver de l’apaisement et le sens de l’intérêt général sur la question du partage de l’eau, FNE Midi-Pyrénées demande l’abandon officiel du projet de barrage à Sivens, trop clivant, et propose le classement du site en Réserve Naturelle Régionale (RNR). Nous faisons collectivement face à un défi majeur pour ces prochaines années, à nous tous et toutes d’inventer les solutions concertées, adaptées aux territoires, et durables.