La justice n’a pas les moyens de protéger efficacement notre environnement. C’est le constat sévère dressé dans cette tribune par des associations écologistes comme France Nature environnement et Greenpeace, des avocats, des universitaires et des juristes. C’est aussi ce que nous avons pu constater à plusieurs reprises, ici ou là, grâce à notre enquête collaborative #AlertePollution. Pour remédier à ce problème, les auteurs de cette tribune font trois propositions. Ils s’expriment ici librement.
Donnons à la justice les moyens de protéger l’environnement et la santé. La récente catastrophe de Lubrizol nous rappelle que les activités industrielles doivent être soigneusement encadrées car tout laxisme peut mettre en péril l’environnement, mais aussi la santé des citoyens. A rebours de cette nécessaire précaution, l’Etat met en place depuis plusieurs années une politique de déréglementation et de raréfaction des contrôles, sous prétexte d’accorder plus de libertés aux divers acteurs économiques. Les atteintes à l’environnement sont pourtant nombreuses et rarement sanctionnées alors que, dans la majorité des cas, elles causent des dommages irréversibles à la richesse écologique de notre pays, à la santé des individus et à l’avenir des territoires. La protection de l’environnement est aujourd’hui une valeur sociale de premier plan mais, comme dans beaucoup de domaines, les questions de la volonté politique et des moyens alloués à la justice sont au cœur du problème. Pourtant, quelques mesures concrètes pourraient inverser la tendance.
Les préfets arbitrent en défaveur de l’environnement, créons une autorité indépendante
Barrage de Sivens, aéroport de Notre-Dame-des-Landes, méga centre commercial d’Europacity, pollution d’ArcelorMittal à Fos-sur-Mer, usine Total de La Mède… Les affaires pour lesquelles les préfets ont délivré des autorisations illégales ou laissé sciemment des industries polluer durant des années ne manquent pas. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : rien que dans le domaine de l’eau, un rapport du Conseil d’Etat relevait en 2010 que seulement 8,5% des manquements relevés par les inspecteurs de l’environnement faisaient l’objet d’une sanction de la part du préfet.
Justifiées par le développement économique de court terme ou le maintien de l’emploi, ces décisions laissent libre cours au bétonnage, à la consommation excessive de ressources naturelles et conduisent à des dommages irréversibles.
A l’heure actuelle, le seul rempart est la mobilisation des associations. Nous proposons donc la création d’une autorité indépendante, qui aura le pouvoir de prendre les décisions qui s’imposent pour prévenir et sanctionner à la place des préfets, et qui organisera le travail de la police de l’environnement qui, aujourd’hui, n’est pas suffisamment soutenue.
Les juges n’ont pas le temps de défendre l’environnement, augmentons les effectifs et spécialisons-les
C’est un fait : en France, il est plus rentable de détruire l’environnement que de respecter la loi. En Isère, une filiale de Lactalis vient d’être condamnée à 50 000 euros d’amende pour avoir déversé des polluants dans une rivière pendant plus de soixante-dix ans. Elle a ainsi économisé plusieurs millions d’euros ! Près de Nantes, Leclerc a engagé la construction d’un centre commercial sans autorisation, détruisant des zones humides et des espèces protégées. Sanction : 800 euros d’amende… Concrètement, les procureurs ont très peu de temps pour enquêter sur ces dossiers complexes. Les juges découvrent parfois ces affaires au dernier moment, ne prennent pas nécessairement la mesure des dommages et le besoin de sanctions dissuasives.
Comment la justice peut-elle jouer son rôle ? Il est urgent de former et spécialiser les magistrats, comme cela se fait dans de nombreux pays (Suède, Chine, Nouvelle-Zélande…) et que des moyens humains et financiers soient accordés pour une justice environnementale au service des citoyens. En Espagne, un parquet national de l’environnement comprend 250 procureurs, experts et scientifiques. Résultat : les condamnations ont plus que triplé.
Le délit de mise en danger de l’environnement n’existe pas, créons-le
Sanctionner les dégâts a posteriori ne suffit pas : ils sont complexes à réparer et souvent irréversibles. Le Code pénal doit ainsi être complété par un chapitre spécifique sur l’environnement, comprenant notamment un délit de mise en danger de l’environnement ou de la nature, comme cela existe déjà pour le délit de mise en danger d’autrui.
Pour en finir avec le sentiment d’impunité qui s’est développé chez les délinquants environnementaux, pour en finir avec les régressions permanentes dans ce domaine qui augmentent les risques, donnons à la justice les moyens d’être efficace. La destruction incessante de notre cadre de vie n’est pas compensable. Pour nous, associations, qui agissons tous les jours sur le terrain pour la défense de l’intérêt général, il est urgent que la justice protège enfin la santé et l’environnement.
Signataires :
Associations : France Nature environnement / Greenpeace / Surfrider Europe / Société française pour le droit de l’environnement (SFDE) / Réseau sortir du nucléaire
Avocat·e·s : Etienne Ambroselli / Céline Bronzani / Samuel Delalande / Thomas Dubreuil / Alice Terrasse / Mathieu Victoria / Emmanuel Wormser / Benoist Busson / Sébastien Le Briéro / Sandrine Gélis / Gwenaëlle Troude / Maxime Le Borgne / Rémi Lavigne / Alexandre Faro
Universitaires : Xavier Braud, maître de conférences, université de Rouen, Normandie / Marie-Pierre Camproux Duffrene, professeure de droit, université de Strasbourg / Chantal Cans, maître de conférences émérite de droit public, Le Mans université / Hubert Delzangles, professeur de droit public, Sciences-Po Bordeaux / Carole Hermon, professeure de droit à l’université Toulouse Capitole / Marie-Laure Lambert, codirectrice du Master 2 droit et métiers de l’urbanisme durable, Aix Marseille / Matthieu Poumarède, professeur de droit à l’université Toulouse Capitole / Michel Prieur, président du centre international de droit comparé de l’environnement / Sarah Vanuxem, maîtresse de conférences en droit à l’université Côte d’Azur / Bernard Drobenko, professeur émérite des universités – ULCO – Laboratoire TVES
Juristes : Julien Bétaille / Simon Jolivet / Raymond Léost (Bretagne) / Benjamin Hogommat (Pays de la Loire) / Elodia Bonel (Auvergne-Rhône-Alpes) / Romain Ecorchard (Bretagne) / Antoine Gatet (Nouvelle-Aquitaine) / Olivier Gourbinot (Languedoc-Roussillon) / Hervé Hourcade (Midi-Pyrénées) / Florence Denier-Pasquier (Pays de la Loire) / Cécile Guénon (Bourgogne-Franche-Comté) / Tristan Richard (Auvergne-Rhône-Alpes) / Marine Le Feunteun (Charente-Maritime) / Anaïs Cordier (Lorraine) / Maxime Colin (Ile-de-France) / Brieuc Le Roch (Bretagne) / Albéric Biglia (Alsace) / Delphine Chevret (Manche) / Ludovic Jomier (Nouvelle-Aquitaine) / Anne Roques (Midi-Pyrénées) / Jérôme Graefe (Ile-de-France) / Sophie Bardet (Pays de la Loire) / Mathilde Goueffon (Paca) / Mathieu Labrande
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